Il y avait le coup de tête de Zidane. Il y aura désormais la main d'Henry. A l'instar du fameux coup de boule du capitaine de l'équipe de France à l'encontre du défenseur italien Marco Materazzi en finale de la Coupe du monde 2006, la faute de main grossière de son successeur, qui a permis aux Bleus d'arracher leur qualification pour le Mondial 2010 aux dépens de l'Eire, a déclenché une vague de commentaires médiatico-politiques et de discussions de comptoir comme seul le football sait en créer.
" Honteux", "scandaleux", "obscène"... la presse européenne a fustigé le "tricheur" Thierry Henry. La fédération irlandaise a prestement écrit à la FIFA, la haute autorité du football mondial, pour lui demander de faire rejouer le match suite à la "décision grossièrement incorrecte de l'arbitre" de la rencontre. Le premier ministre irlandais, Brian Cowen, a appuyé la plainte de sa fédération et en a glissé deux mots à Nicolas Sarkozy. En France, les réactions politiques ont aussi été nombreuses. "Dans un monde idéal, il faudrait rejouer le match mais le monde n'est pas encore idéal", a déclaré François Bayrou, le président du MoDem. "La morale de ce match c'est que l'on peut tricher du moment qu'on n'est pas pris. L'équipe de France va traîner pendant des années cette image d'équipe de tricheurs", s'est fendu celui du Mouvement pour la France, Philippe de Villiers, avant d'exhorter le sélectionneur des Bleus, Raymond Domenech, à exprimer des "regrets publics".
Pour les remords de l'entraîneur détesté des Français, il faudra patienter. Ceux de Thierry Henry sont arrivés un peu tard. Le meilleur buteur de l'histoire des Bleus aura attendu que la FIFA confirme, vendredi 20 novembre, que France-Irlande ne pouvait être rejoué pour déclarer dans un communiqué adressé aux médias britanniques que "la solution la plus équitable serait bien sûr de rejouer le match, mais ce n'est pas de (son) ressort", avant de répéter qu'il n'était pas un tricheur.
A l'exception notable de M. Sarkozy, pourtant assis aux premières loges au Stade de France, mercredi soir, et de Rama Yade, la secrétaire d'Etat aux sports - pour qui "on ne peut pas parler de triche" -, tout le monde a vu que le geste de l'attaquant était bien volontaire. L'intéressé lui-même a d'ailleurs reconnu dès le match terminé qu'il avait bien touché le ballon avec sa main, ce qu'interdisent formellement les codes du ballon rond.
Bien sûr, ça n'aurait pas manqué de panache si Thierry Henry était allé voir l'arbitre pour lui dire : "Pardon, monsieur l'arbitre, vous devez annuler le but de mon camarade William Gallas car, vous ne l'avez peut-être pas vu, mais il est entaché d'une grossière faute de main de ma part." Mais a-t-on déjà vu un joueur venir s'excuser auprès de l'homme en noir après avoir simulé une faute dans la surface de réparation pour obtenir un penalty ou après avoir marqué un but sur une position de hors-jeu ? La décision de la FIFA de ne pas faire rejouer France-Irlande confirme en quelque sorte que, dans le football, la tricherie est institutionnalisée.
N'en déplaise à Rama Yade, Thierry Henry a bien triché. C'est déplorable. Mais ce qui est le plus navrant dans cette affaire, et qui n'a suscité aucun cri d'orfraie, c'est qu'en propulsant les Bleus en Afrique du Sud avec sa main, leur capitaine a, comme on dit dans le milieu, simplement "fait le métier".
"Faire le métier", dans le jargon cycliste, consiste à prendre des produits pour améliorer ses performances. Dans le milieu du foot, c'est faire une faute au milieu du terrain pour briser l'élan de l'équipe adverse, retenir un joueur par le maillot sur un corner pour l'empêcher de prendre un ballon de la tête, s'écrouler dans la surface pour obtenir un penalty ou encore susurrer des mots doux à l'oreille de son adversaire pour lui faire perdre ses nerfs et qu'il écope d'un carton.
Pourquoi s'échiner à invoquer le fameux esprit de fair-play et à vouloir parer de vertus un sport où les vices sont tolérés voire encouragés ? S'il faut trouver une utilité à l'"affaire Henry", c'est que cette main, vue par des millions de téléspectateurs, devrait rappeler à tous ceux qui ne veulent pas le voir, que le football, joyeux divertissement, a une face plus sombre. Car que trouve-t-on si on fouille un peu dans les coulisses de ce show médiatique ? Des histoires de dopage, de corruption de joueurs ou d'arbitres, de matches achetés, de transferts frauduleux, d'insultes racistes ou homophobes, de débordements de violence sur le terrain comme en tribune...
Le SNEP-FSU, principal syndicat des professeurs d'éducation physique et sportive, condamne dans un communiqué "les déclarations du sélectionneur Raymond Domenech et de certains joueurs selon lesquelles "l'essentiel'', en sport, c'est de gagner" et incite "en particulier les enseignants d'EPS à débattre immédiatement avec leurs élèves de l'avenir du football et du sport en général, à réfléchir aux contours d'un autre sport émancipateur et humaniste". Redéfinir un sport à valeur éducative qui échapperait aux lois de la compétition et du spectacle ? Pourquoi pas ? Mais il faudrait commencer par arrêter de magnifier des jeunes gens qui shootent dans un ballon et l'attrapent parfois de la main.
source Le Monde
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